Vampire

Il semblerait que j’ai laissé filer quelques respirations, ici. Un laisser-aller coupable, une installation un peu trop confortable dans la torpeur caniculaire de Juillet. J’incriminerais volontiers la chaleur étouffante, et les virus successifs qui n’ont manqué de m’accabler les deux dernières semaines. A raison, ceci dit. Mais je dois aussi en convenir, j’en viens à me demander si je ne suis pas « trop » serein, depuis le début de l’été. Est-ce qu’un calme intérieur apaisant est réellement propice à l’écriture et au dévoilement ? Peut-être suis trop peu vêtu derrière mon clavier pour me mettre plus à nu par les mots. Gageons qu’il n’est jamais trop tard pour se faire violence.

C’est que cette sérénité, je le sais à présent, n’a rien d’illusoire. J’ai pu le constater à la faveur de mon récent anniversaire, elle me permet enfin d’avoir un rapport apaisé à L. Parler, rire, sourire, sans que cela n’invoque la nostalgie, la douleur ou l’envie, c’était un soulagement plus fort encore que les quelques surprises ou cadeaux dont j’ai été gratifié. Le dialogue se fait franc et honnête, sans que pour autant il ne nous tourne vers le passé. On peut s’inquiéter l’un pour l’autre, espérer des jours heureux, sans l’once d’un goût amer. Renouer avec la bienveillance réciproque qui nous a toujours caractérisés, sans que plane la moindre menace. Peut-être n’en sera-t-il pas toujours ainsi, je ne nettoie jamais ma boule de cristal, feignasse que je suis. Mais on me permettra de simplement me satisfaire de ce pas en avant. Il en aura fallu de la souffrance pour atteindre ce moment précis, alors ne commencez pas à lever les yeux au ciel. Laissez-moi un peu glousser de contentement de temps à autres, quoi.

Ce moment charnière pour moi n’est cependant pas arrivé par hasard. C’est une heureuse succession de rencontres et des retrouvailles qui aura finalement consolidé cette paix retrouvée. A commencer par l’improbable découverte de P. Je dis P., mais c’est surtout pour vous laisser imaginer qu’il y a tout un alphabet de conquêtes que je vous cache encore et qui ne demande qu’à être dévoilé. Idée drôle et flatteuse, mais très éloignée de la réalité. Je vais plutôt appeler cette jeune femme Pagaille, parce que ça lui va bien.

La première photo que Pagaille a faite chez moi montrait la vue depuis mon balcon, donnant sur les étals du primeur en contrebas. Un florilège de couleurs alignées, autant de fruits et de saveurs à portée des quelques insouciants venus faire leur marché le samedi matin. Je crois que c’est l’image qu’elle m’évoque spontanément, ce mélange de couleurs vives. On s’était croisés de temps à autres, ces derniers mois, mais c’est à la faveur d’un verre à l’approche de l’été que j’ai eu l’occasion, sur un coup de tête, de lui laisser mon appart, le temps d’un week-end, histoire de lui épargner un embarras passager. Une de ces décisions de Samaritain comme j’en prends parfois, sans vraiment y réfléchir, cette année. Depuis ce moment, on s’incruste l’un l’autre gaillardement dans nos horizons respectifs. Ils sont rares, les jours où on ne se voit pas. Brillante et joviale, indubitablement charmeuse, elle virevolte au gré de ses envies, rayonnante de vitalité. Probablement contagieuse. J’aime assez sa façon de prendre toute la place quand elle arrive, ne mettant que quelques instants à défaire ses sacs et en semer le contenu un peu partout, dans un rassurant bordel. Ma tempête domestique. Que d’heures à disserter, partageant une bonne bouteille, les sourires francs, installés pour profiter du retour de la fraîcheur du soir. Une femme pour laquelle j’éprouve une réelle admiration, à vrai dire. Sa capacité à affronter ses périodes noires, à reprendre sa vie en main, à bifurquer encore et encore, même si tout doit être plaqué, afin de suivre une route évolutive qui lui ressemble. Elle a beau être bien plus jeune que je ne le suis (parce que je suis un jeune homme, vous vous souvenez ?), c’est moi qui me retrouve dans la peau du disciple, face à elle. Plus d’une leçon dont il serait bon que je m’inspire.

Au final, c’est naturellement à elle que j’ai proposé de regarder avec moi le documentaire Fluctuat Nec Mergitur, au sujet de la Terrible Nuit. Elle me semblait partenaire parfaite pour ce que j’abordais comme une épreuve : elle n’a pas été directement concernée, je ne lui avais jamais raconté cet épisode et je lui fais pleinement confiance. Elle a bien entendu accepté. Le premier contact fut certes un peu difficile. Je me sentais noué. Chaque bruit, chaque image d’archive, chaque évocation de la perte, me faisait serrer la mâchoire, voire rouler les larmes dans les yeux. Puis j’ai commencé à me détendre. Et à simplement profiter de ce moment de partage. Je pouvais surmonter cette vision, et expliquer à Pagaille. Qu’elle comprenne, autant que faire se peut. Expérience un peu éprouvante, pour elle comme pour moi, mais d’une infinie douceur par ailleurs. Je ne saurais trop l’en remercier.

Vous me direz que présentée ainsi, la relation que j’ai avec elle n’attend plus qu’à prendre une tournure plus intime. Ce que vous êtes prévisibles, vraiment ! Et ce serait faire fausse route. Bien sûr, il y a une affection mutuelle. Mais il est bon en même temps d’en profiter sous ce simple jour. Oh évidemment que l’idée m’a traversé, je ne suis pas totalement un moine, hein. Et Pagaille est une femme dont il serait des plus facile de tomber amoureux. Mais non. Juste non. Ce n’est pas la différence d’âge entre nous qui est en cause ici, même si je l’aurais moi-même présumé de prime abord. Sans doute a-t-elle ses raisons, pour sa part. Mais de mon côté, je suis surtout sensible à ce que je ne voudrais à aucun prix gâcher. Elle est l’incarnation de la pulsion de vie. Or, sans dire que je suis le contraire littéral, je suis néanmoins un homme contemplatif. C’est un peu comme un homme mou, mais avec de l’amour propre. Et si je regarde les femmes qui ont partagé ma vie jusqu’ici, je commence à voir des points communs : des femmes éblouissantes, fortes, mais pas dépourvues de fragilités. Et invariablement s’est passé le même phénomène : je les ai éteintes, atténuées. Comme la flamme d’une bougie que je couvrirais d’une cloche. Absorber leur feu, tel un vampire, mais sans contrepartie. C’est bien sûr plus complexe, les relations étaient très différentes, mais il y a cette tendance à l’extinction. Mais j’ai le sentiment aujourd’hui que l’on maintient, aussi longtemps que possible, une relation bénéfique. Comme une parenthèse, un vent d’été. Bien sûr que la distance s’installera doucement, avec le temps et les rencontres. Mais il restera un moment qui aura compté pour elle comme pour moi, et le sourire indéfectible d’un ami qui nous connaît et, je l’espère, restera.

Ainsi, Pagaille m’accompagne avec constance dans ce segment de sérénité. Comme je l’accompagne dans… Bah ! Elle seule sait quoi. Bien sûr, d’autres amis chers ont participé à me délester de tout ce poids durant ces derniers mois. Citerai-je le soutien inestimable d’Anissa, Aurélie, Anthony(s), Jean-gui, Sylvie, et tant d’autres. Et la famille. Toujours la famille, assurément. Sans compter ceux dont je reparlerai ici quand l’occasion m’en sera donnée. Et la Sirène. Dont il faudra bien que je parle un jour. Quand j’aurai appris à ne pas souffler les bougies.

 

But every time it rains
You’re here in my head
Like the sun coming out
Ooh, I just know that something good is going to happen

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